Du 8 au 10 octobre 2019, le Service Information et Prévention de la Ligue (Ligue Luxembourgeoise d’Hygiène Mentale) organisa les 11e Journées Nationales de Prévention du Suicide, avec comme thématique « Comment gérer les crises suicidaires ? ». Entrevue avec le Dr Fränz D’Onghia, Docteur en psychologie et chargé de direction du Service Information et prévention de la Ligue, pour aborder deux modèles internationaux de gestion de la crise suicidaire, les méthodes de prévention du suicide utilisées par la Ligue et le rôle de l’entourage dans la prévention d’un tel acte.
Dans le cadre des 11e journées Nationales de Prévention du Suicide, la Ligue a présenté deux modèles étrangers de gestion de la crise suicidaire. Ces modèles innovants permettent d’améliorer la transition entre l’hôpital et les structures extra-hospitalières des patients ayant déjà fait une tentative de suicide. Une nécessité selon le Dr Fränz D’Onghia : « Il existe un risque bien réel que la personne repasse à l’acte si elle est fragile psychologiquement et si, de surcroît, elle n’est pas correctement encadrée après son hospitalisation. ».
Le premier modèle de prise en charge est néerlandais. Il s’agit du projet « SUNA ». Directement après leur sortie de l’hôpital, les patients se voient offrir un accompagnement par des cases managers (ou gestionnaires de cas), pour une période d’environ 6 mois. Les patients sont encadrés dans la poursuite de leur prise en charge, notamment dans la recherche d’un psychothérapeute ou d’un assistant social…
Le deuxième modèle est français. Il s’agit du dispositif « VigilanS », élaboré par l’équipe du Centre Universitaire de Lille. La prise en charge consiste à encourager les contacts réguliers (téléphone, courrier…) entre les professionnels de santé et les patients qui sortent de l’hôpital.
Comment repérer les crises suicidaires ?
Il faut savoir que la crise suicidaire survient lorsque de nombreux facteurs de risque sont associés. Cependant, on observe certaines caractéristiques chez les personnes qui se suicident. On sait que les hommes passent plus souvent à l’acte que les femmes, par exemple. Les seniors sont également plus enclins à mettre fin à leur vie. Dans 9 cas sur 10, on note la présence d’un trouble psychique tels que la dépression (très souvent), des psychoses, des troubles anxieux (moins souvent), des addictions. Ce sont souvent des personnes isolées et sans travail, avec très peu de ressources humaines et financières.
Des études menées par autopsie psychologique; c’est-à-dire en recueillant des informations du défunt auprès des familles, sur notamment son état de santé, sa personnalité et ses comportements; ont montré deux grands profils types :
- Des personnes pour qui tout commence mal, dès le plus jeune âge. Les conditions de vie sont mauvaises : abus sexuels, violences physiques, décès des parents… Souvent, ce sont des personnes qui font une première tentative de suicide assez jeune.
- Des personnes qui ont une belle vie, puis, vers la fin de la vie active, elles vont être confrontées à de premières difficultés dans leur vie. Elles vont passer à l’acte quelques années après leur retraite. Ces personnes n’ont pas eu l’occasion de renforcer leur résilience, c’est-à-dire leur capacité à surmonter les épreuves.
Un de mes proches pense au suicide. Comment réagir ?
Il faut bien comprendre que la personne qui a des idées suicidaires vit avec une souffrance qui dure depuis longtemps. Cette tension psychique augmente de plus en plus, pour arriver jusqu’à un point, que la personne perçoit souvent de non-retour avec un possible passage à l’acte suicidaire. C’est pourquoi il convient toujours de diminuer cette tension psychique, en donnant la possibilité à la personne de s’exprimer par exemple.
Dr Fränz D’Onghia conseille : « Si l’un de vos proches se trouve dans cette situation, je vous invite à pratiquer une écoute active, c’est-à-dire à écouter ce qu’il vous dit avec empathie, sans jugement et sans banaliser ses ressentis. Il faut vraiment que vous puissiez valider l’émotion de l’autre (« J’ai vraiment compris que tu n’es pas bien aujourd’hui »). Et, surtout, n’hésitez pas à lui montrer que vous êtes présent et que vous êtes inquiet pour lui. De plus, vous avez le droit de ne pas accepter son isolement. Si vous laissez votre proche trop souvent seul, il va forcément se recentrer sur lui et, par conséquent, se centrer sur ses émotions négatives. Enfin, apprenez à connaître vos limites. Si vous en ressentez le besoin, osez demander de l’aide auprès de professionnels de la santé. »
Ce que peut faire la D’Ligue pour vous aider
L’asbl D’Ligue (Ligue Luxembourgeoise d’Hygiène Mentale) est la plus grande structure extra-hospitalière du pays puisqu’elle compte plus de 90 salariés. Ses activités sont organisées en trois pôles distincts :
- Le Pôle « Traitement » : propose des consultations de psychothérapie (individuelles, en groupe ou en couple) aux patients qui sont en souffrance psychique.
- Le Pôle « Insertion » : aide les patients atteints de troubles psychique dans leur processus d’autonomisation en vue de rechercher un travail, un logement et des loisirs.
- Le Pôle « Information et Prévention » : gère la formation des professionnels de la santé, l’organisation des campagnes de sensibilisation et d’information et la gouvernance du Plan National de Prévention du Suicide (PNPSL).
La Ligue intervient également au sein des écoles ou des entreprises lorsqu’il y a eu un cas de suicide. Cela évite que de nouveaux cas de suicides se produisent.
Prévention du suicide : deux grandes méthodes
La méthode classique de prévention du suicide reste la sensibilisation et l’information du grand-public. Une deuxième méthode consiste à prévenir les maladies mentales (dépression, anxiété…), facteurs de risque important du suicide. Le Dr Fränz D’Onghia précise : « L’objectif est de sensibiliser le grand-public aux maladies mentales et d’apporter les outils nécessaires à leur prévention. Par exemple, nous pouvons intervenir au sein des écoles en apprenant aux élèves à améliorer la gestion de leurs émotions/des difficultés/des conflits, ainsi qu’à renforcer leur résilience. »
D’autres mesures préventives existent :
- approfondissement de la formation des professionnels de la santé,
- amélioration de la prise en charge hospitalière et extra-hospitalière des patients qui ont fait une tentative de suicide,
- diminution de la facilité d’accès aux moyens pour se suicider : protéger les ponts, réduire l’accès aux armes ou à certains médicaments…
Les signes d’alerte du suicide
Si vous vous rendez compte d’une rupture dans le comportement de l’un de vos proches, montrez-vous curieux et tentez d’en comprendre la raison. Les signes d’alerte classiques sont : l’isolement soudain, la perte d’appétit, une plus grande irritabilité, des troubles de la concentration, une fatigue intense avec cernes et peau pâle…
Dr Fränz D’Onghia conclut : « N’ayez pas peur de parler du suicide. Et, si vous pensez que l’un de vos proches ne va pas bien, prenez votre courage à deux mains, et posez-lui la question. Cela peut se faire de manière très douce, très respectueuse : « Tu sais, parfois, quand les gens ne vont pas bien, ils n’ont plus envie de vivre. Est-ce que tu as déjà pensé à te suicider ? » En cas de réponse affirmative, restez dans l’écoute active et essayer d’offrir votre meilleur soutien. »
Vers une diminution des suicides au Luxembourg ?
Depuis 2016, le nombre de suicides baisse au Luxembourg grâce aux différentes actions mises en place dans le cadre du Plan National de Prévention du Suicide 2015-2019. Dr Fränz D’Onghia : « Nous sommes passé de 80 à 60 suicides par an. C’est déjà très bien, mais tout est encore à faire en matière de prévention. Nous devrions redoubler d’efforts pour sensibiliser les cibles les plus difficiles à atteindre et, ainsi diminuer encore le nombre de cas de suicides. Une évaluation du Plan National de Prévention du Suicide 2015-2019 est actuellement en cours. La Ligue aimerait que le ministère de la Santé adopte une posture en faveur d’un deuxième Plan National de Prévention du Suicide. »