Régimes d’éviction, apprentissage de la trousse d’urgence, respect des protocoles d’immunothérapie, stress et angoisses… Les allergies alimentaires impactent considérablement la qualité de vie des enfants concernés et de leurs parents. Lors d’un webinaire intitulé « Allergies alimentaires sévères du nourrisson et de l’enfant » et organisé le 30 avril 2021 au Centre Hospitalier de Luxembourg, le Dr Françoise Morel, médecin spécialisé en allergologie au CHL, aborda le quotidien de ces familles exemplaires.
Les allergies alimentaires sont en constante augmentation ces dernières années. Et cette augmentation du nombre de cas concerne également les allergies alimentaires sévères que l’on appelle dans le jargon médical les « anaphylaxies sévères ». Dr Morel : « Ces allergies alimentaires sévères ont été multipliées par 7 en 20 ans, et requièrent généralement une hospitalisation des patients. Globalement, on peut affirmer que 7 millions d’Européens vivent avec une allergie alimentaire et que 8% d’entre eux vont développer éventuellement une réaction allergique sévère (anaphylaxie) dont la prévalence représente un peu moins de 5% des allergies alimentaires. L’incidence des anaphylaxies alimentaires (toutes confondues) est de 50 à 112 cas/100 000 personnes. »
Augmentation des cas d’anaphylaxies
L’European Academy of Allergy and Clinical Immunology (EAACI) a souhaité sensibiliser la population quant à la hausse alarmante des cas d’anaphylaxie, notamment chez les enfants. Cette société scientifique publie régulièrement en vue d’alerter la communauté scientifique sur le risque d’allergies alimentaires sévères chez les enfants et adolescents. « D’après les données de l’EAACI, 17 millions d’Européens ont une allergie alimentaire et un enfant sur 4 en âge scolaire souffre d’une telle allergie. Les données montrent également que 4 à 7% des enfants d’école primaire ont une allergie alimentaire et que 2/3 des écoles ont au moins un enfant avec un risque d’allergie grave. La plupart des réactions allergiques surviennent donc hors du cadre familial, et 20% d’entre elles se produisent à l’école. », expliqua le Dr Morel.
Il faut savoir qu’il existe un registre européen des anaphylaxies depuis 2007. Les données de 2016 portant sur l’anaphylaxie alimentaire de l’enfant et de l’adolescent ont montré les résultats suivants :
- Entre 2007-2015 : 1.092 cas d’anaphylaxie ont été enregistrés dans 10 pays européens.
- Les principaux allergènes sont :
• Le lait de vache et l’oeuf chez les enfants âgés de moins de 2 ans ou égal à 2 ans.
• La noix de cajou et la noisette chez les enfants d’âge pré-scolaire.
• L’arachide chez les enfants de tout âge. Il faut savoir que l’arachide est l’aliment qui est le plus responsable d’allergies alimentaires sévères.
Dr Morel commenta : « Sur les 1.092 cas d’anaphylaxie enregistrés, 71% avaient une allergie connue et 33% avaient déjà eu une réaction antérieure. Une fois le diagnostic posé, tout le challenge de l’allergologue sera d’éviter de nouvelles réactions allergiques sévères. Ce registre nous apprend aussi que 9,4% des cas étaient survenus à l’école. Ce n’est pas fort étonnant puisque ces enfants sont avec d’autres enfants et qu’ils peuvent ainsi être plus facilement exposés aux allergènes alimentaires (partage de collations, gâteau d’anniversaire…). Il faut également garder à l’esprit que certains cas d’allergie sont très sévères et peuvent être mortels. Heureusement, c’est assez exceptionnel. Les allergènes impliqués dans les cas très sévères mortels restent le lait de vache et les fruits à coque (arachide surtout). »
« On voit de plus en plus d’enfants qui ont des allergies multiples, et dont la qualité de vie est fortement impactée. »
Symptômes de l’allergie alimentaire sévère
Dans le cadre de l’anaphylaxie sévère, les enfants vont avoir une réaction systémique sévère, avec une atteinte d’au moins deux organes. Les organes qui sont le plus souvent atteints sont la peau, les voies digestives et les voies respiratoires.
La réaction la plus dangereuse est l’asthme aigu grave. Les enfants ne peuvent plus respirer et décèdent malheureusement suite à leur anaphylaxie alimentaire. Il faut savoir que l’angio-oedème laryngé est rare chez l’enfant. Le choc anaphylactique (pouls qui s’accélère et chute de la tension artérielle) est quant à lui extrêmement rare. Chez les petits nourrissons, les symptômes classiques sont surtout des vomissement, de l’urticaire sur l’ensemble du corps et une apathie (absence d’énergie).
Bilan allergologique
Les tests cutanés (Prick-tests) sont les éléments majeurs du diagnostic. Ils sont réalisables dès les premières semaines de vie. Plus tôt ils seront effectués, plus vite l’enfant bénéficiera d’une prise en charge adaptée (éviction alimentaire, protocoles d’immunothérapie). Ces tests cutanés sont exécutés sous la supervision de l’allergologue. Ils sont généralement complétés par un dosage des IgEsp via une prise de sang.
Eviction alimentaire
L’éviction alimentaire est nécessaire pour éviter les réactions allergiques mais elle demande beaucoup de temps et beaucoup d’investissement de la part des parents. De plus, l’éviction alimentaire n’est pas toujours évidente à réaliser… Comme le rappela Dr Morel : « Si le règlement européen liste les 14 allergènes qui sont à déclaration obligatoire sur l’étiquette des produits et des plats au restaurant, il ne faut pas oublier que certains allergènes (sarrasin, pignon, pois…) ne sont pas à déclaration obligatoire. Par défaut d’information, les patients peuvent donc être amenés à consommer un aliment allergène. Par ailleurs, il faut penser également au risque de contaminations croisées. Celui-ci peut être évité en adoptant une procédure adaptée au risque notamment dans les cuisines des restaurants et les cantines scolaires. »
Plan d’action d’urgence
Pour réagir efficacement à une réaction allergique de leur enfant, les parents doivent suivre un protocole d’action d’urgence. Éduqués par une équipe d’infirmières et de diététiciennes, ils seront capables d’apporter les premiers gestes de secours à leur enfant (notamment l’injection d’adrénaline) en fonction de la gravité de la réaction allergique.
Evolution des allergies
Les allergies alimentaires au lait, au blé et à l’oeuf guérissent habituellement durant l’enfance. Il existe toutefois une faible chance de guérison pour les allergies à l’arachide, aux fruits à coque, au sésame et au poisson.
Le Dr Morel insista : « Il ne faut pas s’arrêter uniquement à la pose du diagnostic. Il y a un véritable intérêt à utiliser des protocoles d’immunothérapie orale. Ce traitement novateur existe depuis dès maintenant et permet de désensibiliser les patients aux allergies qui sont considérées au départ à faible chance de guérison. Les protocoles d’immunothérapie sont couramment réalisés en Europe avec des résultats probants, même s’ils ne font pas toujours consensus auprès du monde scientifique, notamment dans le cadre de l’allergie alimentaire à l’arachide. »
Allergies alimentaires et leurs conséquences sur la vie quotidienne
L’allergie alimentaire impacte au quotidien la vie de l’enfant et de sa famille :
- Être toujours en alerte et sous contrôle.
- Difficultés des parents à perdre le contrôle (confier un enfant à l’institutrice, à la crèche…), problèmes d’autonomisation et difficultés à faire confiance.
- Stress, frustration, l’injustice, angoisses de mort.
- Moins bonne qualité de vie que d’autres patients atteints de maladies considérées comme plus graves comme le diabète par ex.
- Risque de déséquilibres alimentaires, de troubles du comportement alimentaire.
- Maladies associées (asthme, rhume des foins, dermatite atopique).
Allergies alimentaire : comment prévenir ?
Les régimes d’éviction maternelle ne permettent pas de prévenir l’allergie alimentaire. C’est pourquoi il est recommandé aux femmes enceintes de consommer tous les aliments, sans excès, et de ne se priver d’aucun aliment.
Pour les nourrissons à haut risque atopique, c’est-à-dire ceux qui ont une soeur, un frère ou l’un des parents qui est allergique (asthme, rhume des foins, allergie alimentaire), il est possible de limiter la survenue d’une allergie alimentaire. L’introduction précoce, vers l’âge de 4 mois, d’aliments responsables d’allergie (en particulier l’arachide et l’oeuf) dans l’alimentation du nourrisson permettra d’obtenir de bons résultats. Enfin, précisons que le lait maternel ne permet pas de prévenir l’allergie alimentaire.
Le SEIPA, une nouvelle forme d’allergie alimentaire très particulière
Le SEIPA (syndrome d’entérocolite induite par les protéines alimentaires) est un type d’allergie alimentaire affectant uniquement l’appareil digestif. Les symptômes classiques du SEIPA comprennent des vomissements abondants plusieurs heures après l’ingestion alimentaire. Le diagnostic est exclusivement clinique puisque les tests cutanés sont négatifs. Le SEIPA peut concerner tout type d’aliment, même ceux qui ne sont habituellement pas impliqués dans les allergies alimentaires. La guérison survient habituellement naturellement après quelques années de vie. « Cette maladie a été découverte il y a une dizaine d’années seulement. On ne connait pas encore tout à fait son mécanisme. », souligna le Dr Morel.
Pour voir l’entièreté du webinaire : https://www.chl.lu/fr/agenda/webinaire-allergies-alimentaires-severes-du-nourrisson-et-de-lenfant
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